Le Trèfle à Quatre Feuilles.
Récit (histoire vraie?) de l'ancien temps.
Angleterre – Cornouaille.
Prenez soin de votre petit peuple: Votre petit peuple vous le rendrat!
Il n'y a pas longtemps, un fermier qui vivait à Bosfrancon possédait une belle vache rousse et blanche qu'il appelait Daisy (Pâquerette). La vache était si grasse, que ses fanons (replis de la peau qui pendent sous le cou) et ses pis balayaient l'herbe; mais, bien qu'elle eût du lait à remplir un seau, elle ne se laissait pas traire plus d'un gallon (4.5 litres environ). Soudain, au moment où le lait coulait à flots, Daisy poussait un doux mugissement, dressait les oreilles, et le lait s'arrêtait. Si la vachère persistait à la traire, la vache donnait des coups de pied, renversait le seau, puis, sans cesser de ruminer, redevenait à l'instant aussi tranquille qu'un tronc d'arbre. On aurait dit vraiment que la vache était ensorcelée. Cependant elle ne cessait d'être grasse et donnait toujours autant de lait toute l'année; en outre, chaque chose prospérait chez le fermier, et les autres vaches de son étable avaient plus de lait qu'aucune de celles du voisin.
Un soir d'été, la fille vint traire les bêtes plus tard que de coutume; les étoiles commençaient à scintiller quand elle termina sa tâche. Daisy était justement la dernière qui restait à traire, et le seau était si plein que la fille pouvait à peine l'élever jusqu'à sa tête (elle portait le seau sur sa tête) avant de se relever, la fille prit une poignée d'herbes et de trèfles et les disposa en guise de coussinet (sur sa tête) afin de porter son fardeau plus commodément. Mais le trèfle n'eu pas plutôt touché sa tête qu'elle distingua des centaines et des milliers de petites gens, s'empressant de tous côtés autour de la vache, plongeant les mains dans le lait, et les retirant avec des fleurs de trèfles qu'ils suçaient avec délices. L'herbe et les fleurs de trèfles montaient jusqu'au ventre de la vache; des centaines de petites créatures couraient le long des herbes en prenant des boutons d'or, des volubilis, des fleurs de digitales pour recueillir le lait que Daisy laissait couler comme une pluie de ses quatre pis à la fois.
Juste au-dessous des pis de la vache, la fille vit un lutin plus grand que les autres et qui, pour mieux se régaler s'était couché sur le dot et, appuyant les talons sur le ventre du bel animal, tenait à pleines mains un des pis qu'il tétait avidement. Elle le reconnut pour un Piskie parce que, lorsqu'il riait, sa bouche allait d'une oreille à l'autre. Les petits montaient et descendaient le long des jambes de Daisy, emplissant leurs coupes qu'il vidait dans la bouche du Piskie. Des centaines d'autres étaient montés sur le dos de la vache, sur ses flancs, autour de ses cornes et derrière ses oreilles.
La vachère (fille de la ferme) ne fut pas effrayée de ce spectacle, parce qu'ayant entendu parler des Fairies (en français: "Petit Peuple"), elle n'était pas fâchée d'avoir l'occasion de les voir. Elle serait même restée volontiers des heures à les voir folâtrer sur les trèfles, qu'ils ne courbaient guère plus que ne l'auraient fait des gouttes de rosée.
Trouvant que sa servante était bien longtemps absente, la maîtresse vint voir ce que cela voulait dire. Quand celle-ci lui eut raconté ce dont elle avait été témoin, la maîtresse s'écria qu'elle devait avoir sur la tête un trèfle à quatre feuilles. Elle devinait juste. (Un trèfle à quatre feuilles s'était glissé dans les herbes qu'elle s'était mise sur la tête, en guise de coussinet pour porter le sceau) (Selon les traditions celtiques un trèfle à quatre feuilles permet d'entrer en relation et de voir les Fairies, le Petit Peuple.)
La maîtresse chercha ensuite le moyen de se débarrasser des Fairies, afin de profiter de tout le lait de Daisy. Elle ordonna donc à sa servante de frotter le pis de la vache avec de la saumure de poisson, ce qui est un moyen infaillible de chasser les Fairies. Mais de jour en jour le lait diminua, et bientôt Daisy devint si maigre qu'on eût pu voir la lumière à travers ses flancs. Tous les soirs quand les étoiles commençaient à briller, Daisy s'en allait à travers champs, mugissant et pleurant comme si elle avait perdu son veau. Elle devint tellement étique (squelettique) qu'on du la vendre à la foire. Depuis lors la ferme cessa de prospérer.
R.Hunt, popular Romance of the West of England.
Traduction Loys Bruyere, 1875
Transcription & Adaptation YG 10/2009